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Après avoir par mainctz jours
visité
Ceste fameuse et antique cité,
Où
tant d'honneur en pompe sumptueuse
T'a
esté faict, Princesse vertueuse,
J'y
ay trouvé que sa fondation
Est
chose estrange et d'admiration.
Quant au surplus, ce qui en est surmonte
Ce
que loing d'elle au mieulx on en racompte:
Et
n'est possible à citadin mieulx faire
Pour
à ce corps et à l'oeil satisfaire.
Que
pleust à Dieu, ma tresillustre Dame,
Qu'autant soigneux ilz fussent de leur âme.
Certes leurs faictz quasi font assavoir
Qu'une âme au corps ilz ne cuydent avoir:
Ou
s'ilz en ont, leur fantasie est telle,
Qu'elle est ainsy comme le corps mortelle.
Dont
il s'ensuyt qu'ilz n'eslevent leurs yeulx
Plus
hault ne loing que ces terrestres lieux,
Et
que jamais espoir ne les convye
Au
grand festin de l'eternelle vie.
Advient aussy que de l'amour du proche
Jamais leur cueur partial ne s'aproche:
Et
si quelqu'un de l'offenser se garde,
Crainte de peine et force l'en retarde.
Mais
où pourra trouver siege ne lieu
L'amour du proche où l'on n'ayme point Dieu?
Et
comment peult prendre racine et croistre
L'amour de Dieu, sans premier le congnoistre?
J'ay
des enfance entendu affermer
Qu’il est besoing congnoistre avant qu’aymer.
Les
signes clers, qui dehors apparoissent
Pour
tesmoigner que Dieu point ne congnoissent:
C’est qu’en
esprit n’adorent nullement
Luy, qui est
seul esprit totallement,
Ains par haulx
chantz, par pompes & par mynes,
Qui est (mon
Dieu) ce que tu abhomines.
Et sont encor les
pouvres citoyens
Pleins de
l’erreur de leurs peres payens.
Temples
marbrins y font & y adorent
Images peinctz,
qu’à grandz despens ilz dorent:
Et à leurs pieds, helas, sont
gemissans
Les pouvres nudz, palles &
languissans.
Ce sont, ce sont telles ymaiges vives
Qui de ces grans despenses excessives
Estre
debv[r]oient aournées & parées,
Et de nos
yeulx les autres separées.
Car l’Eternel
les vives recommande.
Et de fuir les
mortes nous commande.
Ne convient il
en reprendre qu’iceulx?
Helas, Madame,
ilz ne sont pas tous seulz:
De ceste
erreur tant creue & foisonnée
La Chrestienté
est toute empoisonnée.
Non toute,
non: Le Seigneur regardant
D’oeil de
pitié ce monde caphardant,
S’est faict
congnoistre à une grand partie,
Qui à luy seul
est ores convertie.
O Seigneur
Dieu, faictz que le demourant
Ne voyse pas
les pierres adorant!
C’est ung abus
d’ydollastres sorty,
Entre
Chrestiens plusieurs foys amorty,
Et remys sus
tousjours par l’avarice
De la
paillarde & grande meretrice,
Avec qui ont
faict fornication
Les roys de
terre, & dont la potion
Du vin public
de son calice immonde
A si longtemps
enyvré tout le monde. |
After having - for several days -
visited
that famous and antique city,
where you with honour and sumptuous
pomp
once were celebrated, virtuous
princess,
I found out that its foundation
is a strange thing, even amazing.
Concerning the rest, it surpasses
what people - far away - trumpet
forth about her:
It is not
possible for a citizen to be more pleased
in satisfying body and eyes.
Would to God, most illustrious Lady mine,
that they were as concerned for their souls.
Their deeds virtually prove that
they do not
believe they have souls in their bodies:
Or that, if they do, their conviction
is
That their souls are mortal like their bodies.
Whence it follows that they lift up
their eyes
no higher nor further than these earthly places,
and that never hope invites them
to the great feast of everlasting life.
It also happens that to neighbourly
love
their hearts never even partially draw near.
Clear signs, externally manifest,
Bear witness that they do not know God;
For in the Spirit they do not worship Him all
who, alone, is Spirit completely. [see note]
But with high chants
and pomp and affectations,
which is (my God) an abomination to you.
And the wretched citizens are still
Full of the error of their pagan fathers.
They build marble temples, to adore therein
painted images
expensively gilded.
Whilst at their feet,
alas, lie groaning
The poor, all naked, pale and languishing.
They it is, they, who are the living images
Who, from that great, excessive expenditure
Ought to be
bedecked and clothed,
Whilst those others are banished from our eyes.
For the Eternal commends those living [images] ,
But the dead ones he commands us to flee.
Is it not enough to criticise them for this?.
Alas, Madam, the
Venetians are not the only ones:
By that error, so swollen and flourishing,
the whole of Christendom is poisoned.
No, not all. The Lord, looking
with an eye of pity on this hypocritical world,
Has made himself known to a large part of it,
that is now to Him alone converted.
O Lord God, make that
what remains
should not go to worship stones.
That is an abuse, originated from idolaters,
Several times abolished amongst Christians
But ever set up again by the avarice
Of that great lecherous whore
[see
note]
with whom have committed fornication
the kings of this earth, and of whom the potion
of public wine in her noisome cup
has so long intoxicated the entire world. |
Après avoir par mainctz jours visité
Ceste fameuse et antique cité,
Où
tant
d'honneur
en pompe sumptueuse
T'a
esté faict, Princesse vertueuse,
J'y
ay trouvé que sa fondation
Est
chose estrange et d'admiration.
Quant au surplus, ce qui en est surmonte
Ce
que loing d'elle au mieulx on en racompte:
Et
n'est possible à citadin mieulx faire
Pour
à ce corps et à l'oeil satisfaire.
Que
pleust à Dieu, ma tresillustre Dame,
Qu'autant soigneux ilz fussent de leur âme.
Certes leurs faictz quasi font assavoir
Qu'une âme au corps ilz ne cuydent avoir:
Ou
s'ilz en ont, leur fantasie est telle,
Qu'elle est ainsy comme le corps mortelle.
Dont
il s'ensuyt qu'ilz n'eslevent leurs yeulx
Plus
hault ne loing que ces terrestres lieux,
Et
que jamais espoir ne les convye
Au
grand festin de l'eternelle vie.
Advient aussy que de l'amour du proche
Jamais leur cueur partial ne s'aproche:
Et
si quelqu'un de l'offenser se garde,
Crainte de peine et force l'en retarde.
Mais
où pourra trouver siege ne lieu
L'amour du proche où l'on n'ayme point Dieu?
Et
comment peult prendre racine et croistre
L'amour de Dieu, sans premier le congnoistre?
J'ay
des enfance entendu affermer
Qu’il est besoing congnoistre
avant qu’aymer.
Les signes
clers, qui dehors apparoissent
Pour
tesmoigner que Dieu point ne congnoissent:
C’est que par
trop grans moyens & petitz
laschent la
bride à tous leurs appetitz
Si que
d’iceulx certes peu d’œuvres sortent
sentans celluy duquel le nom ilz
portent.
D’avoir le nom de chrestiens ont pris
cure,
puis sont vivans à la loy d’Epicure,
faisant yeulx, nez & oreilles jouyr
De ce qu’on peult veoyr, sentir & ouyr
Au gré des sens, & traictant ce corps
comme
Si la gisoit le dernier bien de
l’homme.
D’or & d’azur,
de marbres blancs & noyrs
Sont enrichis leurs temples & manoirs,
D’art de painctures & medailles
dorées,
Sont à grant coust leurs maison
decorées;
Et à leurs pieds, helas, sont
gemissans
Les pouvres nudz, palles &
languissans.
Ce sont, ce sont telles medailles vives
Qui de ces grans despenses excessives
Deussent avoir parade & ornature,
Ou pour le moins qu’en recreant Nature
de leurs manoirs en ce point erigez
N’en feussent moins les povres
soulagez. |
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Au residu, affin
que ceste carte
De son propos
commancé ne s’escarte,
Savoir te faiz,
Princesse, que deçà
Onques rommain
empereur ne dressa
Ordre publicq, s’il
est bien regardé,
Plus grand, plus
rond, plus beau, ne myeulx gardé.
Ce sont, pour vray,
grands & saiges mondains,
Meurs en conseil,
d’executer soudains:
Et ne voy rien en
toutes leurs pollices
De superflu, que
pompes & delices.
Tant en sont
plains, que d’eulx peu d’œuvres sortent
Sentans celuy
duquel le nom ilz portent.
D’avoir le nom de
Chrestien ont prins cure,
Puis sont vivans à
la loy d’Epicure,
Faisans yeulx, nez
& oreilles jouyr
De ce qu’on peult
veoir, sentir & ouyr,
Au gré des sens, &
traictent ce corps comme
Si là gisoit le
dernier bien de l’homme.
Mesmes parmy tant
de plaisirs menus,
Trop plus
qu’ailleurs y triumphe Venus.
Venus y est certes
plu reverée
Qu’au temps des
Grecs, en l’isle Cytherée:
Car mesme reng de
reputation,
De liberté &
d’estimation,
Y tient la femme
esventée & publique,
Comme la chaste,
honnorable & pudique.
Et sont
enclins (ce disent) à aymer
Venus,
d’autant qu’elle est née de mer,
Et que
sur mer ilz ont naissance prise,
Disant
aussy qu’ilz ont basty Venise
En mer,
qui est de Venus l’heritage,
Et que
pourtant ilz luy doivent
hommage.
Voulà
comment ce qui est deffendu
Est par
deçà permis & espandu. Si t'escriroys, Princesse,
bien encores Des Juifz, des Turcs, des Arabes et Mores,
Qu'on voit icy
par trouppes chascun jour:
Quel en est l'air, quel en est le sejour:
De leurs palays et maisons autenticques,
De leurs chevaulx de
bronze tres anticques,
De l'arcenal, chose digne de poix,
De leurs
canaulx, de leurs mulles de boys,
Des murs salez dont leur cité est
close, De leur grant place, et de maincte autre chose..
Mais
j'auroys peur de t'ennuyer, et puis
Tu l'as mieulx
veu que escripre ne le
puis.
Je
t'escriroys aussy plus amplement
Du sage
duc, et generalement
Des
beaulx vieillardz: mais ma Dame et maistresse,
Tu les
congnois, si font ilz ta haultesse.
Ilz
savent bien que tu es, sans mentir,
Fille
d'ung roy qui leur a faict sentir
Le grand
pouvoir de son fort bras vainqueur,
Et la
noblesse et bonté de son cueur.
Parquoy
clorray ma lettre mal aornée,
Te
suppliant, Princesse deux foys née,
Te
souvenir, tandis qu’icy me tien,
De cestuy
là que retiras pour tien
Quand il
fuyoit la fureur serpentine
Des
ennemys de la belle Christine. |
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Au
residu, affin que ceste carte
De son
propos commancé ne s’escarte,
Savoir te
faiz, Princesse, que deçà
Onques
rommain empereur ne dressa
Ordre
publicq, s’il est bien regardé,
Plus
grand, plus rond, plus beau, ne myeulx gardé.
Ce sont,
pour vray, grands & saiges mondains,
Meurs en
conseil, d’executer soudains:
Et ne voy
rien en toutes leurs pollices
De
superflu, que pompes & delices.
Mesmes
parmy tant de plaisirs menus,
Trop plus
qu’ailleurs y triumphe Venus.
Venus y
est certes plu reverée
Qu’au
temps des Grecs, en l’isle Cytherée:
Car mesme
reng de reputation,
90 De
liberté & d’estimation,
Y tient
la femme esventée & publique,
Comme la
chaste, honnorable & pudique.
Et sont
enclins (ce disent) à aymer
Venus,
d’autant qu’elle est née de mer,
Et que
sur mer ilz ont naissance prise,
Disant
aussy qu’ilz ont basty Venise
En mer,
qui est de Venus l’heritage,
Et que
pourtant ilz luy doivent hommage.
Voulà
comment ce qui est deffendu
Est par
deçà permis & espandu.
Si t'escriroys, Princesse,
bien encores Des Juifz, des Turcs, des Arabes et Mores,
Qu'on voit icy
par trouppes chascun jour:
Quel en est l'air, quel en est le sejour:
De leurs palays et maisons autenticques,
De leurs chevaulx de
bronze tres anticques,
De l'arcenal, chose digne de poix,
De leurs
canaulx, de leurs mulles de boys,
Des murs salez dont leur cité est
close, De leur grant place, et de maincte autre chose..
Mais
j'auroys peur de t'ennuyer, et puis
Tu l'as
mieulx veu que escripre ne le puis.
Je
t'escriroys aussy plus amplement
Du sage
duc, et generalement
Des
beaulx vieillardz: mais ma Dame et maistresse,
Tu les
congnois, si font ilz ta haultesse.
Ilz
savent bien que tu es, sans mentir,
Fille
d'ung roy qui leur a faict sentir
Le grand
pouvoir de son fort bras vainqueur,
Et la
noblesse et bonté de son cueur.
Parquoy
clorray ma lettre mal aornée,
Te
suppliant, Princesse deux foys née,
Te
souvenir, tandis qu’icy me tien,
De cestuy
là que retiras pour tien
Quand il
fuyoit la fureur de les ruses
Des
ennemys d’Apollo & des muses. |